Mais s’ils mettent en garde contre une posture unique qui consisterait à privilégier le commentaire de Strindberg-critique par rapport à Strinberg-auteur dramatique, ils ne rechignent pas à employer l’explication biographique pour prouver l'impact de la « préface à Mademoiselle Julie ». » Dans ce « théâtre des pensées » la vision peut atteindre ce qui se passe à l’intérieur du corps : « Je nie la « personnalité » et sa prétendue unité, et […] je découvre en chaque homme l’instrument de très diverses « personae » (et de masques), parce que « l’Esprit absolu » et la « connaissance pure » signifient pour moi des êtres fabuleux[I 26] ». Si l'on en croit l'extrait suivant, le naturalisme est en deçà et au-delà du réalisme. ». La foi est une grâce particulière qui n'est pas donnée à n'importe qui, explique-t-elle à Julie, en ajoutant qu'il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer au royaume des cieux et que les derniers seront les premiers. Peu importe qu'elle soit au contraire (c'est la thèse de Boris Vian) une jeune fille en plein désarroi devant l'acte sexuel et sa réalité. Mademoiselle Julie est l'un des drames les plus surprenants, les plus choquants de notre temps. Il soupire juste : « Ça fait vingt-cinq ans que ça dure, depuis, Ces analyses critiques, sélectionnées et publiées par Stephen Conway le. »[I 21], « je n’ai pas de moi ! Tel est donc le drame intime de la Julie de Strindberg : elle ne reçoit rien et ne veut rien recevoir. ... Mademoiselle Julie, c’est d’abord l’histoire d’une femme qui vit son désir, d’une femme qui a un corps Il n'a pas mis de temps à apprendre, acquérant la finesse nécessaire (sens olfactif, gustatif et oculaire) pour reconnaître ce qui est beau. En outre, Henderson est insensible aux déclarations de principe de Strindberg sur les conflits de classe entre l'aristocratie et la paysannerie. Yann Plougastel, en exergue d'un article du 9 juillet 2011, précise que « la rencontre de Juliette avec Julie semble évidente[a 2] ». Aussi les personnages de Strindberg se démarquent-ils des modèles du théâtre ancien : ils n’ont pas une identité exclusive et définitive, ce qui présuppose l’acceptation d’une richesse psychologique que seuls les naturalistes férus d’observation peuvent admettre : « L'âme de mes personnages (leur caractère) est un conglomérat de civilisations passées et actuelles, de bouts de livres et de journaux, des morceaux d'hommes, des lambeaux de vêtements de dimanche devenus haillons, tout comme l'âme elle-même est un assemblage de pièces de toutes sortes[Ab 7]. de Strindberg, Mademoiselle Julie, où la pauvre Nau, dans un rôle impossible, est fortement empoignée[10] ». Ces conclusions semblent souligner la relation dynamique entre les personnages fixes ou évolutifs décrite par Strindberg. La prise de conscience qu’elle fait de son acte provoque chez elle un choc émotionnel. Ces essais ont donc abouti à un échec. Si l’on en croit Strindberg, Jean est sexuellement supérieur puisqu’il est un homme. Pourtant, dans Le Monde comme Volonté et comme Représentation, Schopenhauer avoue qu'il s'agit là d'une question primordiale puisqu'au « Aucun thème ne peut égaler celui-là en intérêt, parce qu’il concerne le bonheur et le malheur de l’espèce, et par suite se rapporte à tous les autres […] »[25]. Mademoiselle Julie (Anita Björk), la châtelaine, jeune femme ayant récemment rompu ses fiançailles, se mêle à la fête, finissant dans les bras de Jean, son valet (Ulf Palme). Coincée entre deux pôles, son père et sa mère, ses parents sont aussi en conflit en elle. Sous le règne de Charles XIII, le parlement adopte une nouvelle constitution en 1809 qui, outre qu’elle change le mode de succession, applique la séparation des pouvoirs[14]. Une pièce naturaliste à connotation allégorique ? […] [Il] me tient d’ailleurs pour le plus grand psychologue de la femme[I 4]. C'est ce qu'on appelle, à tort ou à raison, “dire bonjour aux amis”[Ab 14]. Jean veut s’élever, Julie rêve qu’elle tombe. Le fait est que Mademoiselle Julie a été interdite de représentation pendant des années en Scandinavie. C'est d'une lenteur ! Et l'actrice s'est reconnue dans le caractère de Julie : « C'est le travail qui m'a permis de me découvrir. Strindberg se défend dans sa préface d'avoir voulu reconstituer la joie de la fête populaire. Mademoiselle Julie / Diane Ouimet, Mademoiselle Julie / Jasmina Douieb Il n'est donc pas anodin qu'Antoine y choisisse d'y faire représenter Mademoiselle Julie, les 16 et 17 janvier 1893 avant que le 13 décembre 1894 Georges Loiseau, cousin d'Alexandrine Zola et familier du romancier, ne décide de faire représenter Père. Enfin, comme Zola pour ses romans, Strindberg croit que le naturalisme au théâtre n'est pas qu'un spectacle ou un divertissement, mais doit répondre à une nécessité pédagogique susceptible d'expliquer, de faire comprendre et d'améliorer les comportements et les institutions. Il s'est même dit apeuré par le transfert qu’on faisait de la description de concepts sur les relations humaines. Le sujet n'a rien d'exotique : preuve en est l'horreur que la pièce a suscité en Suède chez le beau sexe. C’est là qu’August écrit, « [Jean] sort indemne de la joute et il finira probablement propriétaire d'un hôtel. Ce qui distingue Strindberg de Labiche ou de Feydeau, c’est probablement le fait que le dramaturge suédois a transposé sa mésaventure et a, en quelque sorte, « sexualisé » outre mesure sa création. Ce dernier convoite depuis de nombreuses années la comtesse voyant en elle un moyen de monter dans l’échelle sociale. La pièce a été également adaptée en opéra par les compositeurs William Alwyn et Philippe Boesmans. Le fait qu’il a écrit Mademoiselle Julie au moment où Freud concoctait ses théories sur l'inconscient, n’empêche nullement la pièce d’inscrire la complexité de son intrigue, de ses personnages, allégorisés ou non, dans le cadre d’un naturalisme non simpliste ayant toujours admis (qu’on relise Nana ou La Terre) qu’il y a une part d'inexplicable dans la nature humaine. La plupart des romans naturalistes d'Émile Zola, de Guy de Maupassant ou de Joris-Karl Huysmans, pour ne citer que ces écrivains de Médan, sont construits sur un arrière-plan psychologique. Le mal absolu n'existe pas dans la mesure où, quand une famille tombe, une autre a la chance de la remplacer dans son bonheur perdu. Törnqvist et Jacobs insistent, cependant, pour ce qui concerne Jean, par exemple, sur le fait qu'il est d'abord et avant tout un personnage particularisé et non inventé par Strindberg ; il représente une nouvelle espèce d’aristocrate. Il ne s’agit cependant pas d’un film simple – la maîtrise d’ Ullmann étonne et impressionne, la réalisatrice parvient à instaurer un climat pesant d’isolement complet de ses personnages (le hors-champ a une place primordiale dans son œuvre, si bien qu’on ne voit apparaître en tout et pour tout seulement quatre acteurs à l’écran pendant toute la durée du film). Kristin n'a rien de sérieux à lui offrir pour mener à bien son projet. Certes, les critiques modernes sont moins préoccupés, en général, par les conséquences pragmatiques de la littérature et ont cessé d’utiliser la « préface » de Strindberg comme le pivot de leur mode interprétatif. Pour lui, les questionnements, l'énergie déployée et l'extrême lucidité du personnage de Strindberg rejoignent ceux de la comédienne qui l'incarne. Cette œuvre naturaliste de la fin du 19ème siècle repose sur plusieurs « expériences ou impressions du réel » de l’auteur. », « L’économie est une science inventée par la classe supérieure pour s’approprier le fruit du travail de la classe inférieure. Par définition, le réalisme donne à voir la vie réelle, sans fioritures ni retouches autant que le permet la transcription graphique. Notre noblesse est de souffrir de la chute du puissant réduit à un cadavre inutile. Entre une Julie sur le déclin et une Kristin qui se satisfait de son état d'esclave, Jean, représentant du peuple suédois en marche, choisit celle qui est la plus à même de servir sa cause : la plus « riche », dans tous les sens du terme, la moins docile, la plus forte en apparence. Rien qui puisse permettre de faire le lien entre les procédés dramaturgiques et les raisons philosophiques qui ont présidé à la tragédie et à son déroulement, dans tout ce qui a réussi à créer le drame naturaliste. La loi lui a permis d'apprendre à lire et à écrire (charte de 1842 instaurant l'enseignement obligatoire dans les écoles primaires publiques[16]), donc à réfléchir, à analyser, à gérer, à penser par lui-même, donc à ambitionner une condition supérieure plus en accord avec son potentiel intellectuel. 1890, Irlande. La critique d’Henderson ne juge la pièce qu’indirectement. ». Strindberg reprendra dans Mademoiselle Julie la remise en question radicale de la subjectivité et de la raison opérée par Nietzsche. Avant de tenter de comprendre la pièce à la lumière de sa « préface », il convient d'en résumer la structure et l'intrigue, telles que les ont vues les manuels scolaires, par exemple. Goodbye to All That, by Robert Graves, is definitely out, since it is “incredibly racist.” L'esclave a cet avantage sur le comte de n'avoir que faire du fatalisme de l'honneur. Strindberg affirme qu'il ne trouve l'intérêt de vivre que dans le combat et la connaissance. Alors je suis partie... », « Arestrup [...] aurait pu, par exemple, esquiver le chapitre « cogneur ». Qui plus est : si l'homme souffre de son environnement, de ses maux, de ses échecs, il souffre surtout parce qu'il est homme et que la souffrance est un de ses constituants vitaux. De fait, puisque Schopenhauer oppose intellect et volonté, il est logique qu'il accorde la primauté du vouloir-vivre sur l'intellect dans la sexualité ce qui implique que « les pensées nettement conscientes ne sont que la surface[27] ». La faiblesse attirée par la force[I 28] ? Tous les spectacles sont annulés depuis le 30/10/2020 et jusqu'à la fin du mois d'avril 2021 (voir la liste complète des spectacles annulés ici) ... MADEMOISELLE JULIE. Ne reste plus qu’à glisser du théâtre comme spectacle au théâtre comme modèle, de la scène au discours philosophique. Mademoiselle Julie est l'histoire d'un affrontement entre un homme et une femme mais c'est aussi une lutte entre deux classes, les maîtres et les serviteurs. Fait l'éloge de la justesse du dialogue, tout en soulignant l'influence évidente du naturalisme français. Mademoiselle Julie démontre l'importance des problèmes liés à l'ascension sociale et au déclin, à la culture et à l'inculture, à l'élite et au démuni, à l'homme et à la femme, tous thèmes potentiels perpétuellement intéressants[A 7]. D'abord, les partisans du tout-déterministe relèveront qu'elle porte le poids d'un héritage génétique et social et d'une éducation. En effet, le dialogue explicite de Strindberg ouvre un large espace d'interprétations possibles, invitant d'autres critiques à remplir cet espace de leurs voix discordantes, fussent-elles hostiles. Cependant dès la première moitié du XIXe siècle, le pays connaît une très forte industrialisation grâce à des progrès technologiques fulgurants. ». Le jeu théâtral peut dynamiser l'imagination d'un public dans un cadre fictif, mais il reste à chacun le droit et le pouvoir de le compléter[A 8]. Il parle d'un « vêtement fait d’oripeaux de toutes couleurs pour ceux qui sont nus et grelottants[I 7]. Les influences sont trop multiples pour vraiment parler de déterminisme générique lié à la seule hérédité. Que Zola n'ait jamais considéré August Strindberg comme un naturaliste à part entière n'empêcha pas Antoine de l'accueillir dans son théâtre, lui qui déclara dans une conférence donnée à Buenos Aires : « Zola nous donnait des pages fécondes sur le naturalisme au théâtre [...] et je peux bien dire que je dois tout [aux naturalistes], je n'ai rien fait de bien, de propre, de courageux, d'utile, que je ne l'ai puisé chez ce grand éducateur[11]. Elle n'a pas la trempe d'une Elin Wägner, dont le mari, John Landquist sera précisément le traducteur de Strindberg. Mais c’est surtout dans les domaines de la culture et de la science que s’opèrent les réformes les plus importantes. Cependant, c’est tout de même sur la « préface » que Sprinchorn fonde son argument le plus important. Mademoiselle Julie (Fröken Julie, Ett naturalistiskt sorgespel) est une « tragédie naturaliste » en un acte de l'écrivain suédois August Strindberg créée à Copenhague le 14 mars 1889 dans une mise en scène de l'auteur, avec Siri von Essen[1], son épouse, dans le rôle-titre. Mais la présence dans la cuisine de ses bottes que Jean doit cirer et de la sonnette avec laquelle il appelle son valet sont autant de signes de son autorité, de son prestige et de son influence sur Jean et Julie. L'homme souffre. Jacques Damour, œuvre initialement publiée dans le Messager de l'Europe de juillet 1880, est inspirée de l'actualité : l'amnistie totale du 11 juillet 1880 et le retour des communards exilés et condamnés. Le dramaturge, pour des raisons qu'il expose dans sa « préface », y respecte la règle des trois unités : de temps (à la fin du XIXe siècle, par une nuit d'été à la veille de la Saint-Jean), de lieu (la cuisine d'une demeure patricienne située dans la campagne suédoise) et d'action (un jeu de la séduction entre maître(sse) et valet, de l'exposition au dénouement tragique). Cependant au début du XXe siècle, l'aspect moral de la pièce commence à s'estomper au profit d'analyses d'ordre littéraire et artistique. [Interprétation personnelle ?]. Elles pouvaient aussi veiller près d’une source pour voir dans l’eau l’image de celui qui leur était destiné[4],[5]. [...] Le théâtre est une forme de « démolâtrie » en matière de goût, le théâtre est une levée en masse, un plébiscite contre le bon goût[I 8]. Faisant allusion à la controverse sur l'omniprésence du théâtre étranger sur les scènes parisiennes, Darzens affirme : Critique la distribution des représentations de. Parfois même, l’analyse psychologique du personnage en constitue la quête unique. Strindberg illustre ce constat par un passage d’évangile : « On met le vin nouveau dans des outres neuves ; autrement les outres éclatent, le vin se répand, et les outres sont perdues[6] », qu'il métaphorise ainsi : « On n'a pas trouvé de forme nouvelle adaptée au contenu nouveau, et le vin nouveau a fait éclater les vieilles bouteilles[Ab 6]. D'où l'élection suicidaire de l'insoumission, d'un mépris « aristocratique », mais d'une aristocratie mitigée, presque usurpée, du moins en partie. La pièce a été adaptée plusieurs fois au cinéma, notamment en 1951 par Alf Sjöberg. Dans cette optique, il est question d’apprendre à voir le développement pluraliste et dynamique des instincts sans prétendre le connaître. Ne se sentant pas aristocrate, elle est prête à la déchéance bourgeoise, hantée par un sentiment intime d'usurpation. Ils en viennent à conclure que pour mettre en relief la valeur de la pièce et sa réalité artistique, il faut éviter ce qu’ils nomment un « sophisme d’intention a posteriori » et que, à s’en tenir du simple point de vue critique, il faudrait finalement ignorer la « préface ». À l'autorité d'un père absent succède une atmosphère de fête païenne favorable à tous les excès. Strindberg souhaite que, comme lui, le spectateur « prenne plaisir à connaître et à découvrir »[A 6]. Mais pour un Jean-Paul Sartre pour ne citer que lui (ou un catholique qui croit au libre-arbitre), il faudrait sans doute « se demander ce qu'elle a fait avec ce qu'on avait fait d'elle ». Netflix : quels sont les films et séries à voir cette semaine (du 9 au 15 avril) . » Entre les deux hommes, il y eut davantage une « affinité intellectuelle de pensée[I 5] » qu'une influence de l'un sur l'autre. Cette recherche permanente de la domination conduit la protagoniste à connaître immanquablement une fin tragique. À partir de 1894, le flux migratoire est freiné par la reprise de la croissance. Ce surcroît de population pauvre est compensée par une forte émigration, essentiellement vers les États-Unis. Jean s'est progressivement émancipé, même s'il reste dépendant financièrement de la classe dominante. Cependant, Schopenhauer se rétorque à lui-même que se placer ainsi hors du monde est le propre d'âmes sensibles qui se condamnant à la solitude souffrent davantage encore que le commun du tragique de la condition humaine.